Corse Net Infos - Pure player corse
Corse Net Infos Corse Net Infos

CorseNetInfos


Inflation et hausse des taux : Regards croisés de Christophe Storai et Sébastien Ristori


La rédaction le Dimanche 17 Septembre 2023 à 18:00

Christophe Storai est Economiste, Maître de conférences en sciences économiques à l’Université de Corse. Il est directeur du CFA Univ et auteur aux Editions Ellipses.
Sébastien Ristori est Analyste financier, enseignant contractuel en sciences de gestion à l’Université de Corse. Il est directeur du groupe Barnes Corse et auteur aux Editions Ellipses.



Christophe Storai et Sébastien Ristori
Christophe Storai et Sébastien Ristori

Christophe Storai
Christophe Storai
- Pouvez-vous expliquer les fondements de l’inflation actuelle ?
- C. S : L’inflation se caractérise par une augmentation persistante de la moyenne des prix des biens et des services, indépendamment des variations sectorielles, sur plusieurs trimestres consécutifs et mesurée par un Indice des Prix à la Consommation (IPC) relevant les prix d’un panier de biens et services représentatifs de la consommation des ménages (biens alimentaires, électricité, gaz, loyers, essence…). Elle se traduit donc par une diminution du pouvoir d’achat de la monnaie.
Selon les théories économiques, trois approches principales se distinguent quant à l’analyse du phénomène et de ses implications :
1/ La théorie classique (théorie quantitative de la monnaie) considère que l’inflation est causée par un déséquilibre entre l’offre et la demande de monnaie. Selon cette approche, la monnaie est neutre à long terme et n’affecte pas la production et les prix. Elle suggère que les prix augmentent lorsque la demande de biens et services dépasse l’offre, ce qui entraîne une augmentation des coûts de production et une hausse des prix. De même, une diminution de la demande entraîne une baisse des prix. Ainsi, la solution proposée pour réduire l’inflation est de maintenir l’équilibre entre l’offre et la demande de monnaie en limitant l’expansion de la masse monétaire.
2/ L’analyse keynésienne considère que l’inflation est causée par une augmentation de la demande globale qui est excédentaire de l’offre globale. Selon cette théorie, la production et les prix sont influencés par la demande globale, qui est composée de la consommation, de l’investissement et des dépenses publiques. Ainsi, pour réduire l’inflation, cette approche prône une intervention gouvernementale, telle que l’augmentation des taux d’intérêt ou la réduction des dépenses publiques, afin de réduire la demande globale.
3/ L’approche monétariste profère que l’inflation est causée par une augmentation excessive de la masse monétaire, qui stimule la demande globale et donc les prix. Cette théorie affirme que la gestion de la masse monétaire est la clé pour contrôler l’inflation. Ainsi, elle préconise une politique monétaire strictement contrôlée par la banque centrale, qui doit s’assurer que l’expansion de la masse monétaire ne dépasse pas la croissance de la production. Pour atteindre cet objectif, la banque centrale peut augmenter les taux d’intérêt, réduire l’offre de monnaie et limiter les crédits bancaires (politique d’encadrement globale du crédit).
La réalité actuelle nous informe que l’inflation, apparue assez soudainement en 2022, atteint des niveaux inconnus depuis des décennies. Comment expliquer la perte de pouvoir d’achat de la monnaie aussi subitement ?  Pendant plus de 30 ans, l'inflation est restée à un niveau négligeable. En France, elle oscillait entre 0 et 3%, voire 4%. Parfois, comme en 2015-2016 et lors de la récente pandémie, elle a même été nulle, voire légèrement négative. Depuis l'été 2021, le niveau général des prix a brusquement cru. Entre juillet 2021 et juillet 2022, il est passée de 1,5% à 6,8% . En avril 2023, il atteint même 7,2%. Néanmoins, la France reste en dessous du niveau de la zone euro (8,5% en mai 2023 après 9,1% en octobre 2022). Dans certains petits pays européens, l'inflation atteint 10, voire 20%. Les banques centrales, attachées à la stabilité monétaire, ont au début considéré que le phénomène ne serait que passager. Elles ont dû adapter leur stratégie car l'inflation s'est installée durablement dans la zone euro et hors zone euro (6,5% aux États-Unis fin 2022 après 8,5% en juillet 2022). La hausse soudaine de l'inflation a cependant de nombreuses raisons, à la fois conjoncturelles et structurelles. Les principales raisons conjoncturelles, donc plutôt transitoires, sont :
1/ la réouverture après la pandémie. Depuis la reprise de l'activité après la crise Covid, les consommateurs rattrapent une partie de leur demande reportée. Pendant une telle reprise de la demande, il est assez facile pour les entreprises d'augmenter un peu les prix sans perdre de clients. La réouverture a également des effets sur l'offre : le rétablissement des chaînes d'approvisionnement et d'acheminement est chronophage et onéreux. La politique zéro-Covid de la Chine (fermeture d'usines, voire de villes entières dès apparition de quelques cas) a rendu ce processus encore plus compliqué. Une demande plus forte rencontre une offre réduite : les prix montent.
2/ le conflit russo-ukhrainien. Depuis février 2022, l'intervention militaire russe en Ukraine génère une pression à la hausse des prix de nombreuses matières premières (pétrole, gaz, huile, blé). La baisse des exportations ukrainiennes tarit l'offre sur les marchés et pousse les prix à la hausse. Par ailleurs, les sanctions contre la Russie obligent de nombreux pays à réorganiser leurs approvisionnements, un processus complexe et coûteux.
3/ la relance budgétaire massive. Afin d'éviter l'effondrement des économies et de maintenir les revenus, de nombreuses nations ont creusé leur déficit pour mettre en place des programmes d'aides. Ainsi, en France, les dépenses publiques ont bondi de 4% en 2021 après +5,1% en 2020. En 2022, le gouvernement a lancé un programme d‘aides de soutien au pouvoir d'achat. Certains pays ont mis en place des programmes de relance exceptionnels, notamment les États-Unis (pour rénover les infrastructures et réduire l'empreinte carbone). Ces dépenses publiques stimulent la demande et accentuent la pression inflationniste.
4/ la dépréciation de la monnaie unique. Apparue en 2021, la baisse de l’euro s'est accélérée en 2022 et la devise a atteint la parité avec le dollar. L'euro s'est également déprécié par rapport à d'autres monnaies comme le franc suisse. Cette baisse de l'euro renchérit le prix des importations, dont notamment le prix des énergies fossiles et renforce ainsi l'effet d'inflation importée.
5/ l'énergie joue un rôle simultanément conjoncturel et structurel. Après la levée des restrictions liées à la crise sanitaire, les prix de l'énergie ont massivement cru. Les prix à la consommation du gaz, des carburants et dans une moindre mesure de l'électricité ont fortement augmenté en France entre décembre 2020 et octobre 2021 (respectivement de 41%, 21% et 3% ). Sous l'effet du conflit en Ukraine, la tendance s'est poursuivie en 2022 dans l'ensemble de la zone euro : le taux d'inflation annuel de l'énergie y a atteint en octobre 2022 41,9% . Ce taux a certes baissé depuis (13,7% en mai 2023 ), mais les tensions géopolitiques, l'épuisement des énergies fossiles, ainsi que la transition écologique vont continuer à mettre les prix de l'énergie sous tension..

Sébastien Ristori
Sébastien Ristori
- Quelles sont les différentes stratégies élaborées par les entreprises pour lutter contre l’inflation ?
- S. R : La macroéconomie a un impact sur les entreprises qui ajustent leurs stratégies au gré de la croissance organique du chiffre d’affaires, du taux d’intérêt et du taux d’inflation. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Une politique de taux élevée est mise en œuvre pour ajuster les prix à la baisse, et freine la consommation et donc le chiffre d’affaires des entreprises. Le pouvoir d’achat est moins élevé, les capacités d’emprunt sont saturées et la consommation est repoussée à plus tard. Différentes stratégies générales ont été élaborées au fil des décennies. Dans les années 70, le contexte macroéconomique était marqué par une inflation en hausse constante, de forts volumes vendus et des taux d’intérêts réels négatifs car les institutions n’avaient pas anticipé correctement l’augmentation continue de la hausse des prix. Les entreprises ont alors réalisé des profits d’inflation : elles ont massivement investi très tôt, elles ont produit beaucoup plus tôt, rassurées par la demande croissante. Ainsi, si l’inflation était de 8%, endetter l’entreprise de 1 000 pour fabriquer un nouvel atelier un an avant le besoin réel de cet atelier conduit à réaliser des économies. En effet, en admettant que des taux d’intérêts étaient à 4%, le coût d’emprunt pour avoir anticipé est de 1 000 x 4% = 40 contre un coût d’emprunt, si le dirigeant attendait un an, de 1 000 + (8% x 1 000) x 4% = 43.2, soit 3.2 d’économie. De la même façon, acheter par anticipation un stock de marchandise de 100 cette année revient à ne pas le payer 108 l’année suivante, soit un profit d’inflation de 8. Cette situation ubuesque n’a existé que parce que les banques centrales n’ont pas réagi face à l’inflation. Les entreprises ont eu, de façon presque rationnelle, un comportement d’anticipation. Certes, les rentabilités économiques étaient faibles, mais l’effet de levier de la dette générait de très fortes rentabilités sur les capitaux propres apportés par les actionnaires, ce qui satisfaisait les marchés. Mais la drogue inflationniste n’a pas duré : dans les années 80, ce fut l’effet boomerang. Les banques ont réajusté les taux à la hausse, concomitamment à une inflation en baisse et avec des ventes qui stagnent ou dégonflent. Le coût d’endettement était devenu alors largement supérieur à la croissance et les dettes contractées quelques années plus tôt devenaient des boulets pour les entreprises. La baisse du flux de trésorerie a entrainé des réductions drastiques des délais de paiement pour sécuriser la trésorerie. Elle a également occasionné d’importantes cessions d’actifs pour dégager des liquidités et réduire la dette aussi vite que possible. La situation était alors en berne dans les années 90, avec un faible niveau d’inflation, très peu de croissance et des taux d’intérêts élevés. Pour trouver des marges de manœuvre, les entreprises ont alors procédé à des investissements de croissance externe, notamment par des vagues de fusions et acquisitions croissantes jusqu’à atteindre des niveaux de transactions impressionnants en 1999 et 2000, retrouvés en 2007, 2015 et 2021. C’est à partir des années 2000, avec des taux d’intérêt réels faibles, une croissance atone et une inflation basse que les investisseurs ont commencé à faire grise mine. Car un taux d’intérêt faible signifie un coût du crédit faible, et en miroir, l’investisseur obtient peu de rendement sur ses investissements. C’est alors le début de la vague des LBO, private equity et de financements intermédiés en tout genre : des financements à haut niveau de risque et à forte rentabilité. Cette situation a perduré un moment, mais a été malmenée par les crises successives à partir de 2008, 2011 et 2020. La rétention de l’épargne et la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne (BCE) – notamment dans différents programmes de rachats d’actifs – a poussé les entreprises à surfer sur la vague de consommation de l’après Covid. La hausse des prix qui s’en est suivie a conduit la BCE à augmenter les taux d’intérêt pour limiter l’inflation. Les entreprises se trouvent alors privées de croissance en volume avec une consommation limitée et une dette gonflée par les mesures de prêts garantis par l’état (PGE). Les sociétés réduisent alors autant que possible leurs besoins en fonds de roulement, recentrent leurs activités et préservent la trésorerie disponible, quitte à reporter le remboursement de la dette à plus tard.

- Selon vous, les politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre l’inflation sont-elles généralement efficaces ?
- C. S : Il existe plusieurs méthodes pour lutter contre l’inflation, en utilisant la politique monétaire, budgétaire ou en réglementant certains niveaux de prix.
- Politique monétaire restrictive : la banque centrale peut augmenter les taux d’intérêt pour rendre le crédit plus couteux et réduire ainsi la demande de prêts et la consommation. Cette stratégie peut ralentir l’activité économique à court terme, mais elle est susceptible également de contribuer à stabiliser les prix.
- Politique budgétaire restrictive: le gouvernement peut réduire les dépenses publiques ou augmenter la pression fiscale pour réduire la demande globale dans l’économie. Cette approche qualifiée d’austérité  peut générer une réduction de l’activité économique tout en réduisant potentiellement l’inflation.
- Réglementation des prix : les gouvernements peuvent fixer des prix maxima pour les biens et services afin de limiter la hausse des prix. Cependant, cette stratégie peut générer des pénuries de produits et encourager la création d’un marché noir. Il est important de noter que chacune de ces stratégies a des avantages et des inconvénients. En outre, le choix de chacune d’entre elles dépendra des circonstances économiques et politiques spécifiques de chaque pays.
Il n'est pas facile de lutter contre l'inflation. L'instrument principal est la politique monétaire : les banques centrales disposent d'outils pour rendre l'argent plus cher et pour réduire la masse de liquidités en circulation. Cependant, la politique monétaire agit toujours avec un certain retard, elle ne peut donc pas annuler des pics d'inflation ponctuels. Par ailleurs, pour faire baisser une inflation résultant d'une inadéquation entre masse monétaire et volume de biens et services, il est également possible de pratiquer une politique qui favorise l'offre. Son inconvénient est qu'elle nécessite beaucoup de temps avant d'avoir des résultats. Afin de contenir, voire de faire baisser l'inflation, les principales banques centrales ont opéré un basculement de politique monétaire pour la rendre plus restrictive : baisse du volume d'achat d'actifs financiers et hausse des taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Réserve fédérale (la Fed) s'est rapidement engagée dans cette voie dès le mois de mai 2022, elle a commencé à relever ses taux directeurs ? Les autorités monétaires américaines se sont montrées particulièrement fermes dans leur volonté de contenir l'inflation. La Banque centrale européenne (BCE) a réagi plus tardivement fin juillet 2022. Trois autres hausses ont suivi depuis, portant le taux pour les opérations principales de refinancement à 3% en zone euro en avril 2023. L'actuel tournant de politique monétaire est sans précédent, car elle concerne tous les grands blocs économiques du monde. Son succès n'est cependant pas certain. En théorie, le durcissement monétaire ralentit l'activité, l'investissement et la vitesse de circulation des liquidités et devrait ainsi faire baisser le niveau de dépréciation monétaire. Son impact sur la croissance économique et sur l'emploi est également à surveiller.

- Face à l’inflation, les entreprises corses sont-elles plus fragiles qu’ailleurs avec une fréquentation touristique en berne ? Quelles solutions face à l’inflation ?
- S. R : Les entreprises insulaires ne sont pas « plus fragiles » qu’ailleurs, je préciserais que des secteurs d’activités sont plus sensibles qu’ailleurs. Et que nos tailles d’entreprises, certes plus petites, plus fragiles, peuvent aussi se permettre une plus grande agilité. La tragédie insulaire consiste, à grands renforts d’encarts de presse chaque année depuis 30 ans, à confondre « tourisme » et « consommateur touristique », qui est un terme beaucoup plus précis. Notre île compte une bonne partie de son économie sur l’apport de cash engendré par un surcroît de consommation : ce surcroît de consommation estival permet aux artisans d’écouler des produits, aux plaisanciers de couvrir des coûts fixes, au réseau important de grande distribution de l’île d’être aussi vaste et de fournir un haut niveau d’employabilité, à l’hôtellerie de perdurer et à bon nombres de commerces de proximité de survivre. On pourrait décliner tous les services qui subsistent en grande partie grâce à un afflux de clientèle supplémentaire dont le pouvoir d’achat n’est pas restreint. Le « tourisme » en tant que tel reste un mot galvaudé à toutes les sauces dont les répercussions économiques ne sont pas correctement mesurées. Ce qui compte, c’est la capacité de dépense globale d’un consommateur estival dans l’économie insulaire. Ce consommateur est-il présent et que dépense-t-il ? Dans un sens, si la hausse des taux a un impact sur la consommation du ménage moyen français, les vacances en Corse n’auront alors probablement pas été préférées à d’autres destinations plus compétitives tandis que les ménages plus aisés ont repoussés à plus tard leurs choix d’acquisitions ou de vacances. Ce dilemme entraine, comme pour toutes les entreprises qui dépendent d’un certain volume de ventes pour dégager des rentabilités et préserver du cash, de trouver des solutions dans l’attente d’un contexte économique plus stable, notamment négocier des reports d’échéances de prêt, de trouver de nouvelles pistes de croissance et d’ajuster le niveau de coût fixe tant que cela est possible. La question n’est pas de savoir si la reprise sera au rendez-vous, la vie économique est faite de cycle, mais bien de savoir quand interviendra cette reprise.

- Qui profite de l’inflation élevée?
- C. S : Mécaniquement, l'inflation pénalise les créanciers et favorise les emprunteurs car le niveau réel de leur dette diminue (pour un prêt non indexé sur l'inflation, la somme rendue est de l'argent déprécié). De même, les épargnants sont négativement touchés, car leur épargne perd de la valeur. Peuvent aussi être perdants les bénéficiaires de prestations même si celles-ci sont indexées sur l'inflation. Par exemple, pour les retraités et les bénéficiaires de prestations sociales (minima sociaux, etc.), l'indexation des pensions ou des prestations n'est ni instantanée, ni automatique, elle est décidée par le gouvernement avec un certain délai. Pour les retraites, la revalorisation, fixée à 4% à partir du 1er juillet 2022 (elle s'ajoute à la hausse de 1,1% de janvier 2022) n'est pas rétroactive. La perte de pouvoir d'achat des mois précédents n'est donc pas rattrapée. À l'inverse, les salariés qui obtiennent des augmentations de salaires équivalentes à l'inflation préservent leur pouvoir d'achat. Pour ceux qui en profitent pour prendre un crédit à mensualités fixes non indexé sur l'inflation, le poids de leur remboursement par rapport au revenu diminue. Pour simplifier, les perdants de l'inflation sont plutôt les personnes âgées qui dépendent de leur retraite et de leur épargne. Les plus jeunes actifs et ceux qui s'endettent sont susceptibles en revanche être gagnants. L'inflation fonctionne donc comme une redistribution des plus âgés vers les plus jeunes. C'est exactement l'inverse de la désinflation des dernières décennies qui a plutôt favorisé les plus âgés.
On peut également considérer que, sous certaines conditions, l'inflation est favorable aux finances publiques et aux caisses sociales (la hausse des prix des biens accroît les recettes de TVA, la hausse des salaires accroît les sommes récoltées au titre des cotisations sociales) ; la dette publique est pour la plupart non indexée sur l'inflation ce qui fait mécaniquement baisser la valeur de la dette par rapport à un PIB qui s'accroît. Ces deux arguments sont néanmoins à relativiser en fonction de la cause de l'inflation. Quand cette dernière est portée par la demande et par la croissance (comme après la période Covid), les recettes fiscales augmentent et la dette se réduit. En revanche, quand l'inflation est provoquée par des produits importés (la situation actuelle avec la hausse du prix des matières premières et de l'énergie), l'emploi et la croissance en sont affectés négativement. Dans ce cas, l'inflation n'est pas favorable pour les finances publiques, car l'économie tout entière s'appauvrit.

- N'est-il pas alors préférable pour une entreprise d’opter, lorsque cela lui est possible, pour un taux variable afin de limiter le coût de son endettement et éviter les effets dévastateurs des années 80 ?
- S. R : En l’état, il ne faut jamais spéculer sur la hausse ou sur la baisse des taux, qui est purement et simplement impossible à prédire. Il est certain qu’avant 2020, la stratégie payante pendant plus de 30 ans était d’opter pour un taux variable. Les taux n’ont cessé de baisser. Mais imaginez un instant un directeur financier en 2010, qui croyant s’endetter à taux fixe à 3% avait supposé que les taux ne descendraient jamais plus bas… Il s’est retrouvé bien sot quand les taux ont continué de chuter, jusqu’à atteindre des niveaux en dessous de 0. En réalité, toute bonne décision financière est un raisonnement en termes de valeur. La valeur des actions (c’est ce qui intéresse l’actionnaire) fait le yoyo en fonction de la valeur de l’entreprise. Pour trouver la valeur d’une action, il faut donc déterminer la valeur de l’entreprise à laquelle on soustrait la valeur de la dette. Un taux variable ne fait pas varier la valeur de la dette, contrairement à un taux fixe. Les valeurs des actions sont donc moins volatiles, ce qui diminue le risque pour l’actionnaire. Il faut donc choisir un taux variable ou fixe sans spéculer sur l’avenir. D’ordinaire, les sociétés sous LBO ou fortement endettées sont à taux fixe pour ne pas ajouter le risque de taux au risque de la dette, les plus petites sociétés peuvent bénéficier d’un taux variable capé afin d’être protégé contre une hausse trop importante. D’autres réfléchissent en fonction de la nature de leurs activités, notamment si ces dernières les protègent contre une hausse des taux grâce à une hausse des prix sans diminution de la demande. Dans le cas ou les secteurs sont cycliques et la visibilité faible, le choix d’un taux fixe est plutôt privilégié.